Collages sur photographies anonymes, formats variables ( depuis 2014 )
C’est cela qui émeut sans doute : tout ce qu’on voit ici a d’abord dû être sauvé. Des photos qui, par nature, avaient essayé en leur temps de retenir le temps. Ces mêmes images jetées ou perdues, devenues anonymes et orphelines, repêchées en vrac, puis glanées par dizaines dans des brocantes. Mais aussi toutes ces petites matières ajoutées, vouées d’ordinaire à se dégrader et disparaître, délicatement ramassées et collées ici ou là : aiguilles de pin, ailes de guêpes ou de libellules, plumes, monnaies du pape, graines à hélice…
Non seulement chaque image retrouvée – libérée entre-temps de toute propriété – renoue automatiquement avec sa modeste vocation d’éternité, mais l’organique lui-même, animal et végétal, condamné d’habitude à la décomposition bénéficie aussi d’une vie nouvelle. L’un avec l’autre, l’un sur l’autre trouvent un même support accueillant, comme un lit pour leurs noces inattendues et fécondes. La photographie et l’herbier joignent leurs propriétés respectives pour ne faire qu’un. C’est de cette union entre du passé photographié et de la matière séchée ou inerte que tout un ensemble semble revenir à la vie et presque reprendre des couleurs. On dirait que de l’air circule à nouveau, en courants. Et viennent à l’esprit des mots légers comme des jeux d’enfants : à tire-d’aile, cerf-volant, vol-au-vent, poids plume, voile lacté…
Toutes les figures (homme, femme, enfant, mère et fils, frères et sœurs) paraissent ranimées, revivifiées, regonflées et allégées par ces drôles de surplus, ces reliefs en forme de membrane : c’est ce qui a été collé qui les fait décoller. C’est ce qui a été séparé qui est réparé. C’est ce qui a été ajouté qui finit de développer chaque photographie, d’en libérer complètement le sens : un lien d’amour entre deux êtres, des corps délestés, la joie d’un mouvement ascensionnel, une communion des éléments et des règnes, un monde certain et fragile. Que sont ces photographies hybrides sinon des images révélées ?
Bernard Benoliel, directeur de l’action culturelle de la Cinémathèque française